Wednesday, February 3, 2016

AMHARC EILE: GÉOGRAPHIES EN MOUVEMENT: On croit connaître l'Algérie et les Algériens


La casbah d’Alger en 1945.
Photo AFP

On croit connaître l'Algérie et les Algériens
BRICE GRUET 2 FÉVRIER 2016 (MISE À JOUR : 2 FÉVRIER 2016)

La conquête de ce qui sera longtemps un département français va constituer un gigantesque laboratoire à ciel ouvert pour une France en quête de modernité et de productivité. Le MuCem, à Marseille, raconte l'histoire d'un pays que nous pensons proche, familier, en quatre tableaux.

Une fausse familiarité: voilà le sentiment avec lequel on commence la découverte de la très riche exposition Made in Algeria*. Sentiment qui se délite très vite, pour céder la place à l’étrangeté, et même une sorte de désorientation. En effet, les documents exposés, de très grande qualité, et pour beaucoup inédits ou oubliés, (notamment les tableaux en provenance des collections des salles dites africaines du château de Versailles), nous interpellent et nous déstabilisent.

On croit connaître l’Algérie et les Algériens, notamment en raison des migrants d’origine algérienne en France. Mais en fait, nous sommes victimes d’une sorte de trompe l’œil, car cette Algérie a été largement modelée par l’imaginaire de la conquête et de la colonisation, l’orientalisme du XIXe siècle et les préjugés des Européens envers les populations du Maghreb. Cela fait à la fois peu et beaucoup.

L’exposition présente cela, et le dépasse largement. Elle se déroule en quatre temps forts, «vue de loin», les approximations et tentatives d’exploration de ce qui ne s’appelle pas encore vraiment l’Algérie. «Tracer le territoire», évocation précise et documentée des tribulations de la conquête et de la colonisation. «Capter l’Algérie» renvoie à la façon dont le territoire algérien, une fois constitué, a été dominé, accaparé, et en même temps transformé en images diffusées partout en France. Enfin, «au plus près» évoque l’après 1962, période étrange de rétraction de l’imaginaire lié à ce territoire national paradoxal à plus d’un titre.

Les premières préoccupations des Européens sont de comprendre comment conquérir une ville, Alger, qui joue un rôle important dans les échanges économiques en Méditerranée. Ruses et espionnage se confondent pour donner les bases de ce que va être la conquête. Conquête bien évidemment imposée à des populations qui ne demandaient rien, mais qui vont subir de plein fouet l’arrivée de colons européens précédés par des militaires peu soucieux, c’est le moins que l’on puisse dire, de respecter les populations locales, leur culture et leurs modes de vie.

A vrai dire, et c’est l’une des thèses avancées par Zahia Rahmadi et Jean-Yves Sarazin, commissaires de l’exposition, l’Algérie va constituer un gigantesque laboratoire à ciel ouvert pour une France en quête de modernité et de productivité. La Casbah d’Alger va par exemple être totalement remodelée en quelques décennies pour correspondre à l’idéal urbain de la ville coloniale blanche. Exit l’urbanisme islamique, résultat d’une évolution séculaire d’une grande richesse.

L’agriculture, les mines, vont également permettre aux autorités françaises de mettre en place de nouvelles pratiques, d’inventer de nouvelles manières de faire, mais avec une population embrigadée ou laissée à l’état de témoin des transformations du pays.

Des peintres commandités par les militaires vont faire naître une imagerie à la fois savante et fantaisiste sur le territoire algérien, tels Siméon Fort, qui vont donner à voir l’immensité d’un territoire si vaste que les topographes vont devoir changer leur échelle de travail. Et si étendu que les limites méridionales du pays vont longtemps rester absentes des cartes, au-delà du bord du papier. Trop loin, trop grand, l’Algérie constitue la frontière mentale de l’exploration coloniale française en même temps que la proximité d’Alger et de Marseille crée cette idée que l’Algérie est accessible, facile à «mettre en valeur». Une opportunité.

Cette exploitation va rester longtemps sous la férule des militaires, et c’est dans la partie «capter l’Algérie» qu’apparaissent les documents qui annoncent et accompagnent les spoliations de terres, les dépossessions des paysans et les accaparements au profit de colons venus de toute l’Europe. Cette face obscure de la colonisation a laissé tant de blessures que la constitution algérienne actuelle interdit formellement la vente de terres aux étrangers.

L’autre aspect qui ressort de ce passionnant parcours est l’idée selon laquelle l’Algérie, officiellement considérée comme départements français, a autant modelé la France métropolitaine qu’elle a été modelée par elle. En effet, arrière-cours et vitrine tout à la fois de la modernité à la française, l’Algérie, par contrecoup, et par le biais des populations émigrées en France avant et après 1962, a puissamment contribué à façonner l’identité française actuelle. Comme si la doctrine de l’assimilation, martelée par les coloniaux, avait fini par donner des résultats mais totalement inattendus.

Cet entremêlement des identités française et algérienne, si complexe, a donné et donne encore des fruits abondants, notamment par le travail d’artistes contemporains à cheval entre deux cultures, et à qui l’exposition rend justice. Car malgré la dureté de la période coloniale, l’Algérie a su s’inventer un visage bien à elle, que cette exposition aide à découvrir et à apprécier à sa juste valeur. Cette exposition, exceptionnelle à plus d’un titre, et, osons le dire, de portée historique, vaut bien le voyage jusqu’au MuCem.

Made in Algeria, généalogie d’un territoire. Du 20 janvier au 2 mai 2016

Le catalogue de Made in Algeria

Au MuCem : 7, Promenade Robert-Laffont - 13002 Marseille 04 84 35 13 13

Playlist
Hadi Hiya Danya (Cosi Celeste)
Cheb Mami agus Zucchero


Ana oualach
Cheb Mami


Houbi louel
Cheb Mami

No comments: